Chapitre 1. 1913-1920, le trésorier Coudanne
(des
militaires vers 1913 ; ce n’est pas à Toulouse)
Fin 1913, Poincaré
était président. Roland Garros venait de traverser la Méditerranée. Mes
grands-parents paternels étaient jeunes mariés, c’est évidemment grâce à eux
que je peux raconter cette histoire.
Si l’on
fait confiance à l’annuaire AX en ligne, à la date d’écriture de cette page, notre
doyen départemental voire régional n’était pas encore à l’école, même pas à
l’école primaire. Mais le petit Marcel (ou Léon-Marcel ?)
faisait déjà la joie de Mr et Mme Mougin avant de
faire leur fierté en intégrant l’X en 1930. Les petits jeunes vice-doyens, X34, n’étaient sans doute pas nés.
Et comme
dans la chanson de Brel, on attendait la guerre ! Guillaume II avait
déclaré en octobre que la guerre avec la France était inévitable. La loi
Barthou venait de fixer la durée du service militaire à 3 années puis 11 ans
dans la réserve, 7 ans dans la territoriale et 7 ans dans la réserve de la
territoriale. Faisant suite à d’autres incidents, l’affaire de Saverne entre
Allemands et Alsaciens avait fait quelques remous.
On peut se
dire que beaucoup de ceux qui ont payé leur cotisation à la fin 1913 ou en
début 1914 n’en ont pas dû en profiter pleinement.
Dans les
comptes, on peut vérifier que les activités GTX de la saison 1913-1914
démarrent fort en décembre 1913 puis au premier trimestre et s’arrêtent au 29
mai 1914, pour ne reprendre qu’au début 1921. Voici ce qu’on peut tirer des 4
premières pages du cahier :
* * * * * * *
La
préhistoire : avant le 1er décembre 1913 ?
Avant même Coudanne, premier trésorier rédacteur du premier cahier, le
premier cité avec des fonctions de trésorier est le commandant Triquera
(Jean Jules Eugène, X1879) ; c’est lui qui remet les fonds à Coudanne le 1er décembre.
Le cahier
démarre au 1er décembre avec une encaisse de 242 francs reçue du Cdt
Triquera, sans autre explication. Il y a mention au 6 décembre d’une cotisation
« Stahl 7 nov », c’est la seule cotisation
pour laquelle une date rétroactive est indiquée. D’après le nombre, 69, et le
détail des cotisations reçues ensuite, avec la mention au crayon en marge en
fin d’exercice « 89 cot », et comme il
est difficile de suspecter une erreur d’addition chez un trésorier
polytechnicien, il a dû y avoir 20 cotisations avant le 1er
décembre. Stahl n’a payé qu’à la séance suivante, le 5 décembre.
Il y a eu
37,50 francs de travaux d’impression au dernier trimestre 1913. Sur la base des
11-12 francs par mois qu’on trouve dans la suite, ceci montre soit une activité
déjà bien régulière pour les convocations, pendant tout le quatrième trimestre
(mais pourquoi n’ont-ils pas été payés au fur et à mesure ?), soit encore
des travaux exceptionnels en décembre.
L’encaisse
242 francs, avec des cotisations multiples de 10 francs, implique forcément des
dépenses.
Cf.
cotisation Stahl, le GTX a dû se réunir le vendredi 7 novembre 1913. C’est le
début de son histoire, tant qu’on n’aura pas trouvé le carnet précédent, s’il a
existé… Notez qu’avec le 7/11/1913, on continue dans le premier tout jaune,
pour l’année, le mois, le jour.
Avant
décembre 1913, y a-t-il eu des activités GTX ? C’est probable, au moins le
7 novembre. Mais depuis quand ? Les trésoriers tenaient-ils des cahiers de
comptes, qui ont été égarés ou détruits ? Ou alors est-ce que les
activités avaient démarré assez informellement au dernier trimestre 1913 ?
Le fait qu’il y ait eu 89 cotisations laisse plutôt penser que le groupe ne
démarrait pas de zéro.
Tant que
nous n’aurons pas des documents supplémentaires, ce qui relèverait du miracle,
c’est à chacun de l’imaginer…
* * * * * * *
Un franc
de l’époque vaut en
principe 3€ de 2007 (source http://www.insee.fr/fr/indicateur/achatfranc.htm).
Autre référence trouvée sur Internet : un ouvrier des mines de Carmaux
gagne en moyenne un peu plus de 5 francs par jour. A l’analyse des comptes des
années 1910-20-30, on a souvent l’impression que pour plusieurs prestations du
type « services » qui nous occupe (restaurant, timbres, pianiste…) la
vie coûtait beaucoup moins cher, à l’époque, que ne l’indique la conversion
théorique franc-euro.
* * * * * * *
Le vrai-faux enregistrement du rapport moral et financier des activités du GTX au cours de la
saison 1913-1914.
On ne sait
pas si le « GTX » de l’époque fêtait la Sainte Barbe en décembre et y
tenait son assemblée générale. C’est peu probable, le terme n’apparaît pas dans
le cahier, et il n’y a pas de festivités particulières au début décembre. En
tout cas il n’y en a pas eu en 1914, la Sainte-Barbe,
c’était « pour de vrai » et
pas dans la région toulousaine ! Néanmoins…
« …
Raymond, c’est à toi !...
Mesdames, messieurs
les officiers généraux, chers camarades,
Merci mon colonel,
président et néanmoins camarade Delort, de me passer
la parole pour selon l’usage vous bassiner avec quelques chiffres. (Murmures) Si, si, il le faut…
Nos
recettes, vous le savez, ne proviennent que des modestes cotisations de vingt
ou dix francs que vous voulez bien nous verser ! Cette année, nous avons pu
compter 89 cotisations, ce qui confirme le dynamisme de notre groupe.
Nos
dépenses sont principalement constituées par les frais de nos réunions
mensuelles du vendredi, au Grand Hôtel, 5 réunions très exactement le 5
décembre, 9 janvier, 20 février, 20 mars et la dernière le 29 mai.
Leur coût a
été de 165 à 205 francs, suivant les séances.
S’y
ajoutent 10 francs de pianiste à chaque soirée, plus parfois quelques musiciens
à 5 francs le cachet, ce qui n’est vraiment pas cher par rapport à la qualité
des prestations… et pour notre soirée exceptionnelle de mars qui vous a
certainement laissé un souvenir ému… 75 francs d’accessoires de cotillon plus
quelques francs pour la décoration de la salle. Mais cela valait la
peine !
Nous avons
aussi quelques frais de fonctionnement pour une centaine de francs,
principalement les travaux d’imprimerie.
Enfin, vous
savez que notre camarade le colonel Froment nous a quittés très récemment, début
avril, et notre groupe s’est associé par l’envoi d’une couronne. Je vous
demande quelques instants de silence…
(silence)
… Merci.
Pour
terminer, si je pars des 242 francs qu’avait bien voulu me laisser mon illustre
prédécesseur, le commandant Triquera (rires étouffés), montant tenant
compte de la vingtaine de cotisations et des dépenses antérieures à décembre, dont
je n’ai pas le détail, et auquel j’ajoute les 1180 francs de cotisations, puis
dont je retranche le total des dépenses, 1348 francs et 70 centimes, vous voyez
que c’est précis… j’obtiens…
(« tu obtiens… il obtient… »)
J’obtiens exactement
73 francs et 30 centimes.
Ce petit trésor,
trésor de guerre si j’ose dire par les temps qui courent, est soigneusement à
l’abri en attente des jours meilleurs où nous pourrons reprendre nos activités,
dans quelques mois, dès que les boches seront vaincus ! »
(applaudissements)
* * * * * * *
Le
bureau 1913-1914, puis les années de guerre
En fait, ce
sera plus long pour les vaincre… et il ne se passe rien au GTX, ni recette ni
dépense. En 1917, le trésorier inscrit la mention « arrêté à la somme
de soixante treize francs et trente centimes, Toulouse le 20 mars 1917, le
trésorier, signé : R. Coudanne».
La
signature est peu lisible, mais le trésorier reprendra du service en 1921 et
1922, et c’est l’arrêté des comptes de début 1923 qui permet de s’assurer qu’il
s’agit de Raymond Jean Coudanne, X1896, né en
1876, décédé en 1965. Début 1923, il sera commandant ; nommé général en
décembre 1932, il finira général de division. Coudanne
présidera le GTX en 1943, nous le retrouverons dans quelques chapitres. Il est
une grande figure du GTX, dont il fera partie jusqu’au bout.
Le
président, colonel Delort, est Joseph Marie Jules Delort (1866). On ne peut retenir Marie Henri Jean
Emile Delort (1890), ce dernier étant un peu jeune
pour être en 1913 président du groupe et surtout pour
être déjà colonel, en temps de paix. D’ailleurs le GTX fêtera fin 1936 les 90
ans du colonel Delort, CQFD. Nous y reviendrons.
Delort
écrit et signe « Cette somme de soixante treize francs et trente
centimes a été remise au Colonel Delort, président du
groupe, qui vu les circonstances, remplira jusqu’à nouvel ordre les fonctions
de trésorier. Toulouse le 14 mai 1917. Delort. ».
Sans doute le jeune officier Coudanne n’était que de
passage à Toulouse, occupé plus au Nord-Est, et ne
souhaitait pas garder la caisse par-devers lui, d’autant plus que le groupe
était en sommeil.
Ensuite Delort disparaît de la circulation pour un moment, en tout
cas des archives (toutefois il y a moins de noms cités dans les années 20
et cela ne prouve rien). On le retrouve vers 1935-37… Mais pas les 73,30 francs !
Lors du redémarrage début 1921, Coudanne reprendra la
trésorerie, et très studieusement son cahier à la page suivante, mais avec une
caisse vide !
On notera
le caractère très militaire du bureau, en tout cas du trésorier et du
président. Il n’y a pas d’autres responsables identifiés.
* * * * * * *
Les
membres du GTX en 1914
Sur les 89
cotisants, nous n’avons que 24 noms, les autres étant notées
« divers ». On peut en déchiffrer la plupart, et avec l’aide de
l’annuaire des 200 premières promotions, en identifier plusieurs ;
il s’agit de :
Stahl
(est-ce Stahl Jean Edmond, 1879, ou Stahl Paul Gabriel Hermann, 1880 ?), Triquera
1879, Coudanne 1896, Delort (1866), ont déjà été présentés.
Paloque 1876, Roussel (lequel ?), peut-être Pugens
1861, Moissenet (1851 ou 79 ou 82), Limasset (1873 ou 1902 ou 1904), Courtade
1872, Conte (lequel ?), peut-être Lasserre, Davasse 1878, Rigaud (1864 ou 75 ou 93), Jacquemin 1885, Mme Salles qui paie pour deux, Darquier 1851, Mme Viel
(1857, 1900 ou 1904 ?) qui paie pour deux, de Lagarrigue
1909, Viala (1871, 1892 ou 1904 ?), Blondeau
1892, Glandy (1873 ou 84 ?), Gaby 1889,
Teissier du Cros (1898 ou 99 ?).
* * * * * * *
(Toulouse au début du XXè siècle)
Les dépenses
du GTX.
La ou le pianiste
est payé en temps réel (10 francs : 30 euros), ce qui permet de dater les
manifestations (toutes ont lieu le vendredi, en soirée probablement car ces
messieurs travaillent). Il apparaît en plus de « pianiste » deux fois
« piano 10 ». Pourquoi seulement deux fois, en janvier et fin mars,
une sorte de forfait trimestriel pour la location de l’instrument ? Par
ailleurs il y a eu deux musiciens (à 5 francs) en janvier et trois en mai.
Les
factures du Grand Hôtel, 165 à 205 francs, arrivent ou en tout cas sont réglées
quelques jours plus tard. Plus une facture de 5 francs pour la « Décoration
de la salle (M. Delmotte) » ; « de la
salle » a été ajouté ultérieurement pour dissiper
toute ambiguïté sur l’objet de la décoration. Ce n’est pas M. Delmotte qui a été décoré !
Quel
« grand hôtel » ? Ce sera peut-être évident pour les Toulousains
canal historique, mais il y en a 4 aujourd’hui, les plus prestigieux étant le
Grand Hôtel Capoul, place Wilson, et le Grand Hôtel
de l’Opéra, place du Capitole (deux autres revendiquent la grandeur, ou granditude : Orléans et Raymond IV).
« Delor Chabou » envoie des
factures mensuelles, 11 à 12 francs, et 37,50 en décembre ; il s’agit
d’une imprimerie, on trouve sur Internet (** 1893 BOUASSE H. *Cote
92759 - Cours de physique générale (Médecine 1ère A.) Manuscrit : fasc.1, 110
p., fasc.2, 120 p. Imp.Delor-Chabou Toulouse). Il
y a une facture le 24 avril bien qu’il n’y ait pas de soirée en avril,
peut-être une circulaire d’annulation…
Pour toute
l’année, il n’y a que 40 centimes d’enveloppes (1,2 euro !), ce qui doit
faire 100 enveloppes si l’on extrapole une référence de 1921. Quelques dépenses
de timbres, assez insignifiantes (une fois 2,60 indiquée « timbres quitt. et (???) », une fois
0,20, une fois « timbres (cour. 18è) 1 franc »), difficiles à interpréter
car à l’époque les imprimés légers étaient semble-t-il postés à 1c et les
lettres à 15c (tarifs 1900). Globalement les frais de courrier paraissent
faibles, c’est peut-être dû à beaucoup de remises en main propre.
Les
recettes du GTX.
Les
« cotisations » sont généralement de 20 francs, parfois 10. Il y a deux
cotisations à 20 francs au nom de Mme, et toutes celles à 10 francs sont sans
indication de Mme.
C’est
probablement 10 francs par personne, 20 pour un couple.
On pourrait
aussi imaginer qu’il s’agit de tarif normal et de tarif réduit pour les
promotions récentes, mais ceci n’est pas possible car en 1923, un respectable
colonel de la promo 1874 cotisera au tarif réduit.
Avec l’incertitude
sur le montant des 20 premières cotisations, avant décembre 1913, il y a eu 89
cotisations pour environ 1420 francs (petit problème de certificat
d’études : cela fait 53 cotisations
de couple à 20 francs et 36 simples à 10 francs).
Les
cotisations sont encaissées majoritairement lors des réunions, quelques-unes dans
l’intervalle, à la manière de Chambergeot ;-)
Perplexité
sur le mode de fonctionnement… Deux approches :
Le terme
de cotisation laisse plutôt penser à un forfait annuel, ce qui ne devait pas être évident
à gérer avec des dépenses de Grand Hôtel et une participation a priori variables.
24 cotisations
ont l’indication d’un nom, les autres sont groupées et marquées en
« divers » (celles reçues en séance). Aucun nom n’est en double, ce
qui conforte l’idée de forfait. Mais c’est peut-être un hasard, les cotisations
suivantes d’une même personne ayant pu être mises en divers.
Remarquons
que 10 francs par personne, c’est 30 euros, et cela semble difficilement être
un forfait annuel pouvant permettre 5 participations. En effet, 6 euros la
soirée au Grand Hôtel, ce n’est pas cher… sauf
s’il n’y avait pas de dîner mais seulement une prestation relativement
indépendante du nombre de personnes, type location de salle ? Ou si les
participants ne cotisaient que pour les frais fixes et payaient sur place
directement à hôtel, mais cela aurait été bien compliqué.
Autre explication :
cotisation = participation à un événement. Le montant correspondrait plus à une participation
à une soirée plutôt qu’à un forfait. 89 cotisations simples ou doubles, soit 142
fois 10 francs.
La
participation moyenne aux événements serait alors de 28 personnes, le coût
« Grand Hôtel » étant environ de 7 francs (21 euros) par personne.
Mais si
l’on s’intéresse aux cotisations en fonction du temps : beaucoup sont
payées à la séance du 5 décembre, une la veille : 22 cotisations pour 410
francs, ce qui ne correspond pas bien à la facture du Grand Hôtel, 165 francs,
une des « petites » factures pour ces réunions.
Inversement,
il n’y a que 15 cotisations reçues de début mars à début juin, pour 230 francs,
alors qu’il y a eu deux soirées les 20 mars et 29 mai, avec des frais d’hôtel
normaux, 390 francs au total.
Donc il ne
peut pas s’agir d’un paiement à chaque événement.
Le camarade
Teissier du Cros (est-ce Ernest de la 98 ou Emile de la 99 ?) est le
dernier à payer sa cotisation, 20 francs le 5 juin, probablement en
régularisation de la séance du 26 mai, alors qu’il n’y a sans doute plus aucune
activité prévue pour l’été, et que les caisses sont presque vides. Forfait pur
et dur (très dur en ce cas) ou montant de la soirée ?
Tout
ceci, confirmé par
les comptes de 1921 et suivantes qui indiquent une très grande majorité de
cotisations réglées à la première séance, semble accréditer plutôt l’idée de
cotisation forfaitaire… Ce qui devait exiger des talents de voyant
extralucide de la part du trésorier, pour arriver à obtenir un quasi-équilibre
final recettes/dépenses, ou une grosse habitude (ou une régulation par l’arrêt
des dépenses ou encore une souscription supplémentaire, mais rien de tel n’a
été nécessaire apparemment en 1914).
Si l’on
retient la première hypothèse, il y a donc eu 89 inscrits au GTX en 1914, plus
une cinquantaine d’épouses, et on ne peut pas dire grand-chose sur le taux de
fréquentation lors des 5 soirées musicales au Grand Hôtel, ni sur le
coût par personne. C’est assez frustrant. En tout cas ce coût est
probablement beaucoup moins de 7 francs (21 euros), sauf si beaucoup ne sont
venus qu’une fois, voire certains pas du tout bien qu’ayant acquitté leur
cotisation, ce qui paraît peu vraisemblable. Ce n’est pas très cher. Si
quelqu’un a des données sur les prix de restaurant en 1913, ce serait intéressant.
Il reste un
petit doute. Peut-être y avait-il un panachage de forfait initial et un complément
pour les participants fréquents, alors listés en divers ? Dans ce cas, on
ne pourrait rien en déduire ni sur la participation, ni sur le nombre des
inscrits. Mais ce serait bien compliqué.
On pourrait
imaginer aussi que la cotisation GTX ne couvrait que des frais fixes tels une
réservation de salle, mais que les prestations (repas ? boissons ?)
étaient payées directement au Grand Hôtel par les participants. Ce serait assez
curieux. Et alors le montant des factures aurait été totalement stable. Ce
n’est pas le cas en 1914, mais ce le sera (presque) en 1923-26…
* * * * * * *