Prélude. « Elémentaire… »

 

 

 

Bien calés dans les confortables fauteuils de cuir de l’appartement de Baker Street, Holmes et Watson devisaient sur ce qui a été abondamment relaté par la PQR, presse quotidienne régionale, comme « l’affaire du GTX code », tout en savourant le thé et les scones que venait de leur apporter Mrs Hudson.

 

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Holmes : Je vous assure, mon cher Watson, que cette fois encore, c’était absolument élémentaire !

 

Watson : Mais pourquoi diable 1913, et pas 1901 comme beaucoup l’avaient cru ?

 

H : Réfléchissez, Watson…

 

W : Mais justement, mon cher ami, j’y avais déjà passé des heures, comme toutes les polices de ce pays, lorsque vous avez donné la solution sans un mot d’explication ! Et je n’ai pas davantage trouvé depuis.

 

H : Eh bien, pour le cas où vous voudriez écrire un jour mes mémoires, voici mon raisonnement :

Que savions-nous dans cette affaire ?

Nous savions que l’année est postérieure à 1794 et que c’est un nombre premier, avec une insistance sur le fait qu’il est « de couleur jaune ».

Nous savions aussi par ailleurs, quelqu’un de confiance qui a eu les documents entre les mains mais a préféré pour des raisons de sécurité évidente à l’époque, ne pas divulguer l’information, que la date appartient à la première moitié du XXè siècle.

 

W : Donc 1900 à 1949, ça laisse… un grand choix dans la date...

 

H : Bravo Watson ! C’est 1901 à 1950 en fait, mais cela ne change rien, mon cher ami.

 

W : En effet, et je ne vois toujours pas…

 

H : En fait, j’ai découvert que la clé de l’énigme résidait non seulement dans la valeur du nombre, mais aussi dans sa représentation décimale.

 

W : Mais n’est-ce pas la même chose ? A une valeur correspond une représentation décimale, et réciproquement.

 

H : Certes Watson, mais alors que la parité, de même que la primalité, c’est-à-dire le fait qu’un nombre soit premier ou pas, ne dépendent que de sa valeur, d’autres propriétés dépendent aussi de sa représentation, liée à la valeur et au choix de la base, arbitraire mais usuellement dix ; c’est le cas de la jaunitude par exemple.

 

W : La jaunitude existerait donc vraiment ?

 

H : Son existence a été incontestablement prouvée, mon cher ami. Par exemple, pour des nombres impairs de 4 chiffres, la jaunitude vaut 25%, ou 50%, ou 75% ou 100% : elle est tout simplement égale au pourcentage de chiffres impairs dans la représentation décimale. Par exemple 2001 a une jaunitude de 25% seulement, alors que 1999 est un nombre tout jaune, les mathématiciens préfèrent parler d’une jaunitude de 1 ou de 100%. Si notre informateur a pris la peine d’écrire « premier » en jaune, ce ne pouvait être que pour m’indiquer que ce nombre était tout jaune, et pas seulement son dernier chiffre. Rappelez-vous : quand on a éliminé toutes les autres possibilités, celle qui reste est forcément la bonne, si improbable qu’elle paraisse !

 

W : Fichtre. Et pour les nombres pairs, il y a comment dirais-je, une rougitude ?

 

H : Pas tout à fait… En fait c’est toujours la jaunitude, qui devient alors négative, égale à l’opposé du pourcentage de chiffres pairs dans le nombre. Et cette notion peut même être étendue aux nombres fractionnaires, et plus difficilement aux nombres algébriques et aux transcendants qui…

 

W : Excusez moi, cher ami, mais revenons à notre énigme… Donc 1913 serait le premier nombre premier tout jaune supérieur à 1794. C’est une propriété remarquable !

 

H : Absolument. Après 1794, les 3 nombres impairs du XVIIIè siècle sont tous les 3 tout jaunes, mais ne sont pas premiers. On peut éliminer rapidement le siècle suivant, le chiffre 8 limitant la jaunitude à 75%, comme le fait le 0 pour les premières années du XXè siècle. Ensuite vient 1911 qui n’est pas premier. Et enfin 1913 est bien notre solution !

 

W : Incroyable, Holmes !

 

H : En fait l’indice « première moitié du XXè siècle » était inutile, et cet étonnant manque de rigueur dans une énigme par ailleurs fort élégante m’a d’ailleurs quelque peu dérouté.

 

W : Certes Holmes, mais cet indice était antérieur à l’énigme. Et au fait, pourquoi «  le premier » premier tout jaune ? Y en a-t-il d’autres ?

 

H : Dans l’histoire de cette Ecole, il y a eu 9 nombres premiers tout jaunes, le dernier étant 1999.

 

Watson : Et le prochain sera ?...

 

Holmes : Pas avant l’an de grâce 3119, mon cher… God save the King or the Queen de cette époque ! Et ça me laisse le temps de finir ma pipe…

 

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Ces élucubrations sur la jaunitude sont antérieures à, et donc n'ont aucun rapport avec, le décès (17/04/2008) du regretté Aimé Césaire, promoteur de la négritude... toutefois né en 1913.

Mais le suffixe en -ude est évidemment dû à l'ineffable Ségolène, et à sa chinoiserie du 7 janvier 2007 "qui vient sur la Grande muraille conquiert la bravitude".